L'expérience de Patricia Loison au onsen
La dimension contradictoire des onsen
La journaliste Patricia Loison s'est confrontée à l'une des traditions japonaises qui peut vite devenir un véritable défi pour les occidentaux : le onsen.
« On-sen »
Le mot sonne comme deux gouttes d’eau, clapote comme unesource à nos oreilles, présage d’une fraîcheur trompeuse alors que le printempscommence à chauffer délicieusement nos épidermes.
Si ce terme japonais se donne au premier abord des airs defée clochette, c’est pour mieux pour attirer dans son antre brûlant…
Car les onsen donnent chaud, rougissent la peau et fontparfois dans leurs vapeurs tourner les têtes.
Ce sont bien des sources, mais chaudes. Elles montent decette terre remuée par le travail desfailles du Japon.
Ma première expérience fut cinématographique.
Je ne réalisais pas ma chance !
Nous finissions letournage d’un épisode de « Faut Pas Rêver » sur les îles méconnues del’archipel nippon. En escale à Yakushima, rendue célèbre par le film« Princesse Mononoke ». La forêt de mousse où chevauchent les loups,c’est Yakushima.
À lire : Yakushima, l'île aux cèdres millénaires
Un volcan recouvert de pins, posé sur l’océan Pacifique.Frais en haut, sylvestre, et nu en bas, la roche noire, épaisse, en guise deplage, l’enserre, comme une collerette.
« On va faire le plan de fin ici, toi dans la piscinenaturelle, les montagnes devant, la mer derrière ».
J’avoue être moyennement enthousiaste à l’idée de me lancerdans un défilé Victoria's Secret version Ange grande taille pieds nus sur lesrochers, devant l’équipe.
On ne me filmera que dans l’eau. Mais je tiens à garder mon maillot de bain. Pudeur chimérique, à la fin de l’émission, seule matête dépasse…
Le maillot de bain : c’est ce que me demandent mes amisde Paris venus nous rendre visite.
« Mais on peut garder notre maillot debain… ? »
-Non…
« Le bas ? »
- Non…
« Une culotte… ? »
-Non…
Les onsen ou les bains chauds nous mettent au pied du mur…du vestiaire.
Qui l’eût cru… ?
Les Japonais tirés à quatre épingles, les Japonaises en shortlarge sur leurs leggings quand elles courent pour camoufler leurs formes –inexistantes… vengeance de l’Ange grande taille. Les grands-mèresplanquées derrière leurs casquettes à visière l’été et gantées jusqu’aucoude…tout le monde, jeune, vieux, grand, petit, maigre, plus dodu, beau,moche, est prié de se baigner dans le plus simple appareil.
Le Japon raffolant des consignes, cela est rappelé sur uneaffichette : pas de maillot de bain, pas de sous-vêtements, pas deserviettes éponges plongées dans l’eau. Rien.
Le. Plus. Simple. Appareil.
Tout sauf simple justement.
Voir aussi : Onsen, petit guides des bonnes manières
Mes filles et moi-même, comme d’autres avant nous, avonssuccombé à la tentation de la micro-serviette en cache-sexe en poussant laporte de ces hammams géants. Nous noussommes déshabillées maladroitement en nous contorsionnant derrière nos draps debain. Mais nous sommes les seules. Et comme chez les nudistes sans doute, lagêne change de camp. C’est nous, accrochés à nos centimètres de tissus, quisommes ridicules.
Des vestiaires aux salles de bains, les mamies, lesfillettes, les adolescentes, les mamans déambulent telles que la nature les afaites.
Un sas surprenant dans ce Japon si corseté, où les bonnesmanières, la règle, prévalent sur tout, tout le temps. Du coup, dans l’eauchaude, enveloppées de vapeur, on se lâche, on s’éclabousse. Alors que j’entre àpetits pas dans le bac d’eau fraîche toujours à disposition, une septuagénairem’explique qu’il faut avancer d’un coup et ponctue son explication d’une gicléed’eau. Alerte, les mamies chahutent ! Des petits garçons admis jusqu’à sixans côté femmes, cris de joie dans le plus grand bassin.
Certains complexes ont des journées à thème : là desdizaines de canards multicolores, ici des salles parfumées au romarin dans dessachets de mousselines, eau de rose ruisselant du plafond.
L’expérience commence dès les douches. Ici, on se récure despieds à la tête avant de s’immerger. La dernière, fois, j’ai fait les cents paspendant un quart d’heure le temps que les femmes devant moi libèrent les petitstabourets installés en rang devant des douches, après s’être savonnés,shampouinées, pris soins de leurs épidermes et de leurs chevelures…
C’est absolument propre qu’on se glisse dans une eau transparenteou chargée de minéraux, grise, ou dorée.
Car il n’y a pas que le plaisir – les onsen mixtes ont étéinterdits après l’arrivée des Américains – ici, on se trempe utile. À Arima,ville thermale au-dessus de Kobe, les sources sont recommandées pour traiterles rhumatismes, les allergies au froid, les estomacs fragiles etc.
À lire : Arima onsen, la source de tous les plaisirs
J’y ai profité d’une eau cuivrée, presque pailletée, avecentre les palissades de bambous, les flancs boisés de la montagne.
Au pied de Koyasan, une autre dégageait un parfum soufré. Etles pierres du bassin avaient changé de couleur, passant du gris au cuivre.
Comme les bains romains, les lieux prêtent à la confidence,à la complicité.
Ma belle-mère et moi-même, nues comme des vers et sanslunettes, avons profité d’un onsen de poche dans l’enceinte d’un temple, ensavourant l’air frais de la nuit.
Nos enfants ont crié de joie lorsqu’une amie, après unejournée de ski, s’est jetée dans la neige qui encerclait le bassin extérieur,laissant l’empreinte de son corps les bras en croix dans la poudreuse.
On peut nicher dans une sorte de vase géant pour unepersonne, rempli d’eau tiède, avec ses enfants lovés contre soi. Il y a des transats creusés dans la pierre,pour s’allonger, une serviette fraîche posée sur le front. Des amies papotent,des mamies refont le monde.
Les onsen sont un monde à part, une autre fenêtre sur leJapon, un baromètre de leur amour du propre, de leur conception de la détente,de leur rapport au corps, de leur goût de l’eau.
Si vous passez par l’archipel, derrière les plis parfaits duobi sur le kimono, derrière la révérence des vendeurs de Gion, derrière lasymétrie de la cérémonie du thé, poussez la porte en bois dans la rue, attirépar l’odeur de l’eau thermale, descendez aux bains chauds de votre hôtels, etplongez dans la folie douce des onsen…
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